
Accident de l'avion présidentiel à Garango en 1986: Que deviennent les victimes 37 ans après?
1986-2023; voilà 37 ans déjà qu’un avion du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara ratait son décollage à Garango, en pays bissa. Bilan: 22 morts et 14 blessés. Que deviennent les rescapés près de quatre décennies après? Dans le but d’avoir des éléments de réponse à cette épineuse question, nous nous sommes rendus à Garango, une commune située à quelques 20 kilomètres de Tenkodogo, du 11 au 12 mars 2023. 37 ans après les évènements macabres, la douleur reste vivace sur les visages des rescapés et de certains témoins oculaires. Sans détours, nos interlocuteurs se sont confiés à nous. Reportage
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Par Wendpayangdé Marcelin Konvolbo, envoyé spécial à Garango
Si les événements du jeudi 15 Octobre 1987 se sont déroulés à Ouaga et ont coûté la vie à 13 personnes, ceux du jeudi 29 mai 1986 ont eu lieu à Garango et ont tué au total 22 Burkinabè. II y a 37 ans donc, une foule compacte attendait de pied ferme le père de la révolution, le capitaine Thomas Sankara et la forte délégation qui l’accompagnait. Lieu de la rencontre: une vaste étendue qui sert d’aérodrome de Garango. Des applaudissements nourris, accompagnés de slogans révolutionnaires retentissent tout autour de l’esplanade. Soudain, les cris de joie virent au drame. Des êtres humains coupés en morceaux, des pieds, des mains, des têtes en lambeaux et disposés de façon disparate. Des blessés graves, gisant à même le sol crient au secours. Ouf, le spectacle horrible était interdit aux âmes sensibles. La cause de l’horreur?
Un des deux avions de la délégation présidentielle a dérapé par inadvertance. Visiblement sous le choc, Thomas Sankara a pris l’engagement, sur le champ, et au nom de l’Etat de dédommager toutes les victimes sans exception aucune. Où on en est avec cette parole donnée du défunt capitaine? Une interrogation qui a trouvé réponse après notre passage dans cette partie du Burkina Faso. Il était exactement 8 heures 20 minutes lorsque Serge Bambara, nous recevait devant le Palais de Naba Koom de Garango.

Sous un nimier généreux en ombre, le quinquagénaire aux cheveux blanchis se rappelle encore des faits comme si c’était hier. “A l’époque, je faisais la classe de 5e et j’étais le SOFA des pionniers (ndlr: encadreur de pionnier). Le Lycée départemental de Garango ne comptait que trois classes. Et, on nous avait informés que tous les élèves devraient aller accueillir la délégation à l’aérodrome. Tous, nous étions alors impatients de voir le capitaine Thomas Sankara. C’est ainsi que nous y sommes rendus. A un certain moment, j’ai laissé mes camarades pour revenir à la maison. Une fois à la maison, je suis allé puiser de l’eau au barrage de Boura et à mon retour, j’ai vu une voiture bachée couverte. Je n’ai pas su quelle curiosité m’a animé, mais j’ai ouvert la bâche. Que fut ma surprise? j’y ai vu des morceaux de chair humaine, de pieds, de têtes, d’oreilles et d’autres que je n’ai pas pris le soin de bien voir. Car, j’ai été pris de peur. Une femme qui m’observait a même crié, quel enfant audacieux! Mais tenez-vous bien que depuis ce jour, il y a certains de mes camarades que je n’ai plus revus. C’est vraiment affreux au point que je ne voudrais plus m’en rappeler ».
22 morts et 14 blessés causés par l’accident
Selon plusieurs sources concordantes, l’on a dénombré 22 morts et 14 blessés lors de cet accident. Bambara Gervais, ex-formateur en langue bissa à Garango, revient sur les causes de cet événement malheureux: “la délégation était venue avec deux avions. Lorsque les autorités ont pris congé de la foule, les deux aéronefs, circulaient l’un après l’autre, sur la piste. Le premier avion, dans lequel se trouvait le capitaine Thomas Sankara a pris son envol sans problème. Quant au deuxième, à bord duquel se trouvait le capitaine Blaise Compaoré, son aile gauche a heurté Abga Yamba Robert, un garde républicain qui tentait de ramener dans les rangs, un élève de CE2 qui avait quitté ses camarades pour traverser la piste. Ce heurt a dévié l’appareil de son trajectoire vers la foule. C’est ce qui a occasionné ce désastre “, a-t-il témoigné avant d’ajouter : « depuis lors, personne n’en parle.

Ce n’est qu’en 2003 qu’on a déclenché une démarche pour la quête d’un dédommagement des victimes tant vivantes que décédées. Mais, jusqu’en 2006, le dossier est resté sans suite auprès de l’administration. Par la suite, nous avons orga- nisé une série de manifestations dans l’optique de nous faire entendre. Et, suite à ces manifestations, ma vie était menacée et j’ai pris la voie de l’exil le 17 décembre 2007 pour la Côte d’Ivoire. Malgré tout, j’ai écrit une lettre ouverte et anonyme aux autorités burkinabè depuis la Côte d’Ivoire. Maître Zacharie Sorgho (Paix à son âme, car il n’est plus de ce monde, il ya un peu plus de deux ans) s’est saisi du dossier. C’est suite à tous ces efforts fournis que le dédommagement a été effectif le 11 Juin 2009, avec une somme de 278 millions de FCFA. Les ayants droits des défunts ont bénéficié 9 millions de FCFA par famille et 4 500 000 FCFA pour chaque blessé ».
Certains victims se débrouillent dans la ville de Garanga
La plupart des blessés de l’accident résident à Garango et se débrouillent très difficilement. Certains sont dans la vente de la volaille, d’autres s’essayent dans le commerce des articles divers mais, non sans les séquelles de leurs blessures. Azarata Bila est l’une des victimes.

Assise devant sa table à beignets dans le marché de Garango, elle nous raconte avec amertume qu’elle avait eu des fractures ouvertes à plusieurs niveaux de son pied. Après l’accident donc, elle a subi des opérations au niveau de son ventre et de son pied. Malgré tout, souvent, elle sent toujours des dysfonctionnements dans son ventre.
Zaré souleymane est celui qui porte Alger maintenant comme surnom. Car, après l’accident, il a été évacué à Alger en Algérie pour des soins. Actuellement, ce monsieur peine à joindre les deux bouts même s’il gère une petite boutique. C’est d’ailleurs dans cette boutique située juste à côté du marché qu’il nous a reçus. “Je suis vraiment content de vous voir intéressé à notre situation”, dit-il de prime abord avant de renchérir: “Nous avons été dédommagés à hauteur de 4 millions chacun, mais Dieu seul sait ce que je traverse. Lors de l’accident, j’ai eu trois fractures ouvertes à mon pied droit. Et, en Algérie, ils ont dû enfouir un fer ici (ndlr: il nous montre une longue cicatrice sur sa cuisse). On m’a dit que je dois enlever le fer maintenant, mais je n’ai pas des moyens pour le faire. Je ne peux même plus pédaler un vélo sur une distance de quatre kilomètres. Et, avec le soleil, quand je m’assois, j’ai des vertiges. Ce sont des séquelles que je dois traiter, mais, il me manque des fonds pour le faire”.

D’autres victimes que nous avons approchées dans leurs lieux de travail, ont préféré ne rien dire, même sous le couvert de l’anonymat. Après ce tour d’horizon avec les victimes, nous avons été sur le lieu du drame pour un constat visuel. Un guide a bien voulu nous retracer les limites de l’aéroport, car, il a été parcellé et abrite des constructions récentes. Quelques portions de béton laissent toujours voir les traces de la piste d’atterrissage. Quant au monument qui y avait été érigé en mémoire des victimes, le temps a eu raison de celui-ci et les noms des victimes qui y étaient gravés ont été totalement effacés.